Sciences sociales : Serge Tcherkézoff plaide pour un mariage de la « franconsie » et de « l’anglonsie »

L’anthropologue Serge Tcherkézoff invite à dépasser les frontières académiques en croisant les traditions françaises et anglo-saxonnes des sciences sociales. Un enjeu majeur pour la compréhension des sociétés polynésiennes et le développement d’une recherche ouverte sur le monde et ancrée dans le fenua.

Deux traditions, deux regards sur l’Océanie

Depuis plus d’un siècle, la recherche en sciences sociales sur le Pacifique s’est développée autour de deux grandes écoles : la tradition française, centrée sur l’ethnographie, l’histoire et la linguistique, et la tradition anglo-saxonne, marquée par l’anthropologie sociale, l’analyse des réseaux et la théorie de l’action. Chacune a produit des travaux majeurs sur la Polynésie, les Marquises, les Tuamotu ou encore la Nouvelle-Calédonie.

  • La « franconsie » privilégie l’étude des structures sociales, des rites, des langues et des généalogies.
  • L’« anglonsie » s’intéresse aux dynamiques de pouvoir, aux interactions quotidiennes, à la modernité et à la globalisation.
  • Les deux approches se croisent parfois, mais restent souvent cloisonnées par la langue, les réseaux académiques ou les méthodes.

« Il est temps de décloisonner les savoirs et de construire une science sociale du Pacifique qui soit à la fois plurielle, rigoureuse et ouverte, » plaide Serge Tcherkézoff, professeur à l’Université de la Polynésie française.

Pourquoi croiser les regards ?

Pour Tcherkézoff, le croisement des approches permet d’enrichir la compréhension des sociétés insulaires, de mieux saisir les enjeux contemporains (identité, migrations, développement, environnement) et de donner une place centrale aux voix locales. Il s’agit aussi de valoriser la diversité des terrains, des langues et des expériences vécues dans les cinq archipels du fenua.

  • Éviter les stéréotypes et les généralisations sur la « culture polynésienne »
  • Intégrer les apports des chercheurs locaux et des populations concernées
  • Favoriser le dialogue entre institutions, universités et associations du Pacifique

« La Polynésie n’est pas un laboratoire exotique, mais un espace vivant, traversé de défis et d’innovations. Les sciences sociales doivent accompagner ce mouvement, » souligne Tane Marama, chef d’entreprise aux Tuamotu.

Des exemples concrets au fenua

À l’Université de la Polynésie française, des programmes de recherche associent désormais des méthodes françaises et anglo-saxonnes : enquêtes de terrain, analyse des réseaux familiaux, études sur la transmission des savoirs, l’économie bleue ou la gouvernance coutumière. Des colloques internationaux réunissent régulièrement des chercheurs venus d’Australie, de Nouvelle-Zélande, de France et des États-Unis.

  • Études sur la revitalisation du reo tahiti et des langues marquisiennes
  • Projets sur l’impact du tourisme et de la mondialisation dans les archipels
  • Analyses croisées sur les migrations, le métissage et l’innovation sociale

« C’est en confrontant nos points de vue que l’on avance, » explique Hina Poma, bénévole associative à Moorea. « Les chercheurs doivent écouter les habitants, pas seulement les observer. »

Enjeux pour la jeunesse et la société polynésienne

Le « mariage » entre franconsie et anglonsie ouvre aussi des perspectives pour la formation des jeunes chercheurs polynésiens. Il encourage l’apprentissage des langues, la mobilité internationale et la création de réseaux régionaux. Il permet enfin de mieux répondre aux attentes de la société, en produisant des connaissances utiles pour l’action publique, l’éducation et la valorisation du patrimoine.

  • Développement de cursus bilingues et d’échanges universitaires
  • Implication des étudiants dans des projets de terrain au service des archipels
  • Valorisation des savoirs autochtones et des innovations locales

Perspectives : vers une science sociale du Pacifique plurielle

Le plaidoyer de Serge Tcherkézoff résonne comme un appel à l’ouverture et à la coopération. Pour la Polynésie française, il s’agit de construire une science sociale à la fois ancrée dans le fenua et connectée au monde, capable d’éclairer les défis contemporains et de donner toute leur place aux habitants des archipels.

« Croiser les regards, c’est aussi préparer l’avenir de nos sociétés, » conclut Serge Tcherkézoff. « Le Pacifique mérite une recherche à son image : diverse, inventive et solidaire. »

À propos de l'auteur :

Hina
Hina Teariki

Hina Teariki est une journaliste polynésienne de 38 ans, née et élevée à Papeete. Diplômée en journalisme de l'Université de la Polynésie française, elle a commencé sa carrière en 2008 comme pigiste pour divers journaux locaux avant de rejoindre Tahiti Presse en 2010. Passionnée par la culture et l'environnement polynésiens, Hina s'est spécialisée dans les reportages sur le développement durable, le changement climatique et la préservation des traditions locales. Elle est connue pour son style d'écriture engagé et ses enquêtes approfondies sur les enjeux sociaux et écologiques du fenua.

Hina Teariki est une journaliste polynésienne de 38 ans, née et élevée à Papeete. Diplômée en journalisme de l'Université de la Polynésie française, elle a commencé sa carrière en 2008 comme pigiste pour divers journaux locaux avant de rejoindre Tahiti Presse en 2010. Passionnée par la culture et l'environnement polynésiens, Hina s'est spécialisée dans les reportages sur le développement durable, le changement climatique et la préservation des traditions locales. Elle est connue pour son style d'écriture engagé et ses enquêtes approfondies sur les enjeux sociaux et écologiques du fenua.

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