Moorea : le littoral en danger ? Les habitants se mobilisent pour sauver l’accès à la mer

Moorea : le littoral en danger ? Les habitants se mobilisent pour sauver l’accès à la mer

À Moorea, la privatisation du littoral suscite l’inquiétude des habitants et des associations. Entre pressions touristiques et enjeux fonciers, l’accès à la mer devient un enjeu majeur pour préserver les traditions et le mode de vie polynésiens. Mobilisation citoyenne, initiatives locales et débats institutionnels rythment désormais la bataille pour garder le littoral accessible à tous.

Le littoral de Moorea, un espace sous tension

Sur l’île sœur de Tahiti, le littoral de Moorea attire autant les visiteurs que les investisseurs. Mais derrière les cartes postales, la réalité est plus nuancée : l’urbanisation s’accélère, les hôtels et résidences privées se multiplient, et les clôtures fleurissent le long du lagon. Selon les dernières données, plus de 47 % du rivage de Moorea est aujourd’hui anthropisé. Les plages de sable blanc, autrefois accessibles à tous, ne représentent plus que 18 % du linéaire côtier, contre 33 % en 1993.

Pour les Polynésiens, le littoral n’est pas qu’un décor : c’est un espace de vie, de pêche, de rassemblement familial et de transmission des savoirs. « Le bord de mer, c’est notre héritage, notre lien avec la mer et nos ancêtres », confie Tiare, habitante de Haapiti.

Les mécanismes de la privatisation

La pression touristique s’est accentuée ces dernières années, avec l’essor des hôtels de luxe et des résidences secondaires. Les bungalows sur pilotis, symboles du tourisme polynésien, occupent désormais des portions entières du lagon, souvent inaccessibles aux habitants. À cela s’ajoutent les friches touristiques, laissées à l’abandon puis réappropriées par des propriétaires privés, qui ferment l’accès à la mer.

L’artificialisation du trait de côte – remblais, murs, enrochements – modifie profondément le paysage et aggrave l’érosion. « On voit de plus en plus de murs en béton là où il y avait des cocotiers et du sable. La plage recule, le lagon change », témoigne Moana, pêcheur à Papetoai.

Conséquences pour la population et l’environnement

Pour de nombreux habitants, accéder à la mer relève désormais du parcours du combattant. Les plages publiques se font rares, les chemins traditionnels sont barrés, et il faut parfois parcourir plusieurs kilomètres pour trouver un accès libre. « Avant, on pouvait traverser librement pour aller pêcher ou se baigner. Aujourd’hui, il faut demander l’autorisation ou faire de longs détours », regrette un résident de Tema’e.

Cette privatisation a aussi un coût écologique : l’érosion s’accélère, les récifs frangeants disparaissent, et la biodiversité lagonaire est menacée. Les remblais et constructions perturbent les flux sédimentaires, asphyxient les coraux et favorisent l’hyper-sédimentation du lagon.

Mobilisation citoyenne et initiatives locales

Face à cette situation, la société civile s’organise. Associations, collectifs de riverains et ONG environnementales multiplient les actions pour défendre l’accès public au littoral. La fédération Tāhei ‘auti ia Mo’orea, par exemple, mène des campagnes de sensibilisation et interpelle les autorités sur la nécessité de préserver les accès traditionnels.

Des projets de restauration voient aussi le jour : replantation de végétation indigène pour lutter contre l’érosion, nettoyage des plages, création de sentiers littoraux. « Il faut respecter le tahatai, le bord de mer, et le rendre à la population », insiste un membre de l’association Te mana o te moana.

Les bras de fer institutionnels se multiplient, notamment lors de projets d’extension hôtelière comme à Tema’e. Des recours juridiques et des manifestations populaires ont déjà permis de freiner certains aménagements contestés. Le Pays a également annoncé le rachat de certaines plages pour garantir leur accès public.

Quel avenir pour le littoral polynésien ?

Si des outils existent – plans d’aménagement, PGEM, stratégie polynésienne de gestion des littoraux – leur application reste perfectible. Beaucoup appellent à renforcer la réglementation, à garantir des accès publics et à impliquer davantage la population dans les décisions d’aménagement.

« Il faut trouver un équilibre entre développement touristique, préservation de l’environnement et respect des droits des habitants », souligne un élu de Moorea. Les regards se tournent aussi vers les solutions fondées sur la nature : restauration de la végétation littorale, protection des zones humides, implication des jeunes dans la préservation du patrimoine.

L’année 2025, marquée par le Sommet des Océans à Nice, pourrait être l’occasion de porter la voix des îles et de rappeler l’importance du littoral pour l’identité et l’avenir du Fenua.

À Moorea, la bataille pour l’accès à la mer symbolise les tensions entre développement, préservation et justice sociale. Si la privatisation du littoral inquiète, elle suscite aussi une mobilisation sans précédent. Pour beaucoup, préserver le bord de mer, c’est défendre un patrimoine commun, au cœur de l’identité polynésienne. La vigilance et l’engagement de tous seront essentiels pour que le littoral reste un espace de vie, de partage et de transmission pour les générations futures.

À propos de l'auteur :

Hina
Hina Teariki

Hina Teariki est une journaliste polynésienne de 38 ans, née et élevée à Papeete. Diplômée en journalisme de l'Université de la Polynésie française, elle a commencé sa carrière en 2008 comme pigiste pour divers journaux locaux avant de rejoindre Tahiti Presse en 2010. Passionnée par la culture et l'environnement polynésiens, Hina s'est spécialisée dans les reportages sur le développement durable, le changement climatique et la préservation des traditions locales. Elle est connue pour son style d'écriture engagé et ses enquêtes approfondies sur les enjeux sociaux et écologiques du fenua.

Hina Teariki est une journaliste polynésienne de 38 ans, née et élevée à Papeete. Diplômée en journalisme de l'Université de la Polynésie française, elle a commencé sa carrière en 2008 comme pigiste pour divers journaux locaux avant de rejoindre Tahiti Presse en 2010. Passionnée par la culture et l'environnement polynésiens, Hina s'est spécialisée dans les reportages sur le développement durable, le changement climatique et la préservation des traditions locales. Elle est connue pour son style d'écriture engagé et ses enquêtes approfondies sur les enjeux sociaux et écologiques du fenua.

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