À l’occasion du RhumFest Paris, Tahiti Presse propose une série d’articles sur la filière du rhum polynésien. Premier volet : histoire, transmission et défis d’une production locale en mutation.
Une histoire ancienne, un patrimoine à redécouvrir
La culture de la canne à sucre en Polynésie française remonte à l’époque des premiers navigateurs. Introduite par les ancêtres polynésiens, la canne a longtemps été utilisée pour l’alimentation, la médecine traditionnelle et les rituels. Au XIXe siècle, la filière connaît un essor marqué : Tahiti, Moorea, Taha’a et Raiatea voient s’installer plantations et distilleries, dont l’usine d’Atimaono à Papara, aujourd’hui classée monument historique.
Après un déclin progressif au XXe siècle, la canne à sucre a failli disparaître. Quelques familles ont cependant conservé des variétés ancestrales, comme la O’Tahiti, dans des parcelles isolées. Ce patrimoine végétal reste aujourd’hui un atout pour la relance de la filière rhum.
Relance de la filière : entre tradition et adaptation
La renaissance du rhum polynésien s’amorce dans les années 2000, sous l’impulsion de producteurs locaux et de porteurs de projets comme David Moux (Tamure), Mana’o ou Manutea. Leur démarche : valoriser les variétés locales, adapter les méthodes de culture au contexte polynésien et miser sur la qualité du pur jus de canne.
En 2025, la filière s’étend sur environ 70 hectares, avec un objectif affiché de 1 000 hectares à moyen terme. Les surfaces sont encore faibles au regard des standards internationaux, mais la dynamique est réelle. Les producteurs s’appuient sur des pratiques agricoles diversifiées, parfois biologiques, et sur une sélection rigoureuse des cannes à sucre.
Des enjeux multiples pour un secteur en mutation
La filière rhum agricole polynésien doit concilier plusieurs enjeux. Sur le plan économique, il s’agit de créer de la valeur ajoutée locale, de soutenir l’emploi rural et de structurer une filière exportatrice. Sur le plan patrimonial, la préservation des variétés anciennes et la transmission des savoir-faire sont au cœur des préoccupations.
La reconnaissance de ce patrimoine passe aussi par la protection juridique : la demande d’Indication Géographique Protégée (IGP) « Rhum de Polynésie française » est en cours, avec l’appui du syndicat des producteurs. Cette démarche vise à garantir la traçabilité, la qualité et l’origine des produits, dans un contexte de concurrence internationale croissante.
Un secteur en quête d’équilibre
Si le rhum polynésien séduit aujourd’hui au-delà du fenua, la filière reste fragile : faibles volumes, accès limité au foncier, coûts de production élevés et nécessité d’une montée en gamme constante. Les producteurs misent sur la diversité des terroirs, l’innovation technique et la valorisation du patrimoine pour s’imposer sur les marchés locaux et internationaux.
Le développement du secteur repose aussi sur la capacité à fédérer les acteurs autour d’objectifs communs : structuration de la filière, formation, recherche et adaptation aux enjeux climatiques.