La proposition du gouvernement polynésien d’accueillir à Tahiti le prochain séminaire du Comité des 24 de l’ONU ravive les tensions entre indépendantistes et autonomistes. Entre ambitions d’autodétermination et attachement à l’autonomie, la société polynésienne se retrouve au cœur d’un débat institutionnel majeur, scruté bien au-delà du fenua.
Un projet du gouvernement qui fait débat
Le gouvernement polynésien, par la voix de sa déléguée aux Affaires internationales Mareva Kitalong-Lechat, a annoncé sa volonté de proposer la candidature de la Polynésie française pour accueillir le séminaire régional du Comité des 24 à Tahiti en 2027. Cette démarche s’inscrit dans la continuité de la participation du Pays au séminaire du C24 au Timor-Leste, où la question de la décolonisation des territoires non autonomes est débattue chaque année.
“Nous comptons proposer notre candidature pour être l’hôte d’un prochain séminaire de décolonisation de l’ONU en Polynésie française, puisque ça a déjà été le cas en Nouvelle-Calédonie en 2010, et que nous avons cette possibilité qui nous est offerte.”
Mareva Kitalong-Lechat, déléguée aux Affaires internationales
Le Comité des 24 à Tahiti : pourquoi ce séminaire suscite-t-il l’opposition ?
L’annonce de cette candidature a immédiatement suscité la réaction du Tapura Huiraatira, principal parti autonomiste, et de l’État français. Tous deux s’opposent à l’organisation du Comité des 24 à Tahiti, estimant que cette initiative ne reflète pas la volonté de la majorité des Polynésiens. Selon eux, le gouvernement indépendantiste du Tavini Huiraatira agit de manière unilatérale sur un sujet aussi sensible que l’avenir institutionnel du fenua.
“C’est aux Polynésiens de décider seuls de leur avenir institutionnel. Cette prérogative n’appartient ni à un parti politique, encore moins minoritaire, ni à la France ou aux Nations Unies.”
Tepuaraurii Teriitahi, élue Tapura Huiraatira
Les autonomistes rappellent que 65% des suffrages lors des dernières élections territoriales sont allés à des formations autonomistes. Ils dénoncent une démarche qui, selon eux, mettrait la Polynésie sur la voie de l’indépendance sans consultation claire de la population.
Les arguments des indépendantistes
Pour le Tavini Huiraatira, la démarche est légitime : l’indépendance figurait dans son programme lors des territoriales de 2023. Le gouvernement Brotherson souhaite placer la Polynésie au centre du processus onusien de décolonisation, en s’appuyant sur l’exemple de la Nouvelle-Calédonie, qui avait accueilli le séminaire du Comité des 24 en 2010.
“Nous voulons un véritable processus de décolonisation et d’autodétermination, sous la supervision des Nations Unies.”
Mareva Kitalong-Lechat, déléguée aux Affaires internationales
Les soutiens du projet estiment que la tenue du Comité des 24 à Tahiti offrirait une tribune internationale à la Polynésie, permettant de faire entendre la voix du fenua sur la scène onusienne et d’ouvrir le dialogue avec l’État français sous l’égide de l’ONU.
Que changerait la venue du Comité des 24 à Tahiti ?
- Le séminaire du Comité des 24 à Tahiti permettrait de recueillir les points de vue des représentants des territoires non autonomes, d’experts, de membres de la société civile et d’États membres de l’ONU.
- Il offrirait une occasion unique de débattre publiquement de l’avenir institutionnel de la Polynésie française, en présence d’observateurs internationaux.
- Pour les autonomistes, la tenue de ce séminaire risquerait de donner une visibilité disproportionnée à la démarche indépendantiste, alors que la majorité de la population reste attachée à l’autonomie.
- L’État français privilégie l’envoi d’une mission d’information de l’ONU, estimant qu’un séminaire du C24 ne permettrait pas de sonder réellement la population ni d’observer les réalités économiques et sociales du fenua.
Des réactions contrastées dans les archipels
Si le débat reste très polarisé à Tahiti, il suscite aussi des réactions dans les autres archipels. Certains habitants des Tuamotu ou des Marquises expriment leur inquiétude face à un processus qui pourrait bouleverser leur quotidien et l’équilibre institutionnel actuel. D’autres, notamment parmi la jeunesse ou les acteurs associatifs, voient dans la venue du Comité des 24 à Tahiti une occasion de s’exprimer sur l’avenir du Pays.
“L’avenir de la Polynésie doit se construire avec tous ses habitants, dans le respect des opinions et des spécificités de chaque archipel.”
Un élu des Tuamotu
Perspectives et prochaines étapes
Le débat autour du Comité des 24 à Tahiti devrait se poursuivre dans les semaines à venir. Le président de l’Assemblée, Antony Géros, a annoncé vouloir saisir la justice pour contraindre l’État à dialoguer sur la décolonisation, une démarche contestée sur la forme par l’opposition. Le tribunal administratif doit se prononcer prochainement sur la légalité de cette initiative.
Pour mieux comprendre la présence et les prises de position des indépendantistes polynésiens à l’ONU, retrouvez notre dossier consacré à la délégation polynésienne au Comité de décolonisation. Vous y découvrirez les arguments portés devant les Nations Unies et les réactions des différentes sensibilités politiques du fenua.
Pour l’heure, la question de l’accueil du Comité des 24 à Tahiti reste ouverte : elle cristallise les tensions entre les différentes visions de l’avenir du fenua, tout en plaçant la Polynésie française sous le regard attentif de la communauté internationale.
Tahiti Presse continuera de suivre l’évolution de ce dossier et de donner la parole à l’ensemble des acteurs du fenua, afin que chacun puisse comprendre les enjeux du Comité des 24 à Tahiti pour la société polynésienne.