En 2025, la Polynésie française tournera une page de son histoire en remplaçant le 29 juin, jusque-là jour férié de l’autonomie, par le 20 novembre, célébration du nouvel an polynésien Matāri’i i ni’a. Ce changement, loin d’être anodin, ravive les débats sur la mémoire collective, l’identité et les symboles qui unissent ou divisent le fenua. Entre attachement à l’histoire institutionnelle et volonté de renouer avec les racines culturelles, la société polynésienne se trouve à la croisée des chemins.
La décision de substituer le 29 juin par le 20 novembre comme jour férié officiel a déclenché une vive controverse en Polynésie française. Pour certains, il s’agit d’une étape nécessaire pour renouer avec l’identité culturelle et les traditions ancestrales. Pour d’autres, c’est un effacement d’un pan majeur de l’histoire contemporaine, symbole de l’autonomie et des combats politiques du fenua. Ce débat, qui traverse toutes les générations et tous les archipels, met en lumière les tensions entre mémoire coloniale, aspirations identitaires et recherche d’unité. Pourquoi cette bataille des commémorations cristallise-t-elle autant de passions ? Quelles voix s’élèvent, et avec quels arguments, dans une société polynésienne en pleine redéfinition de ses repères ?
Le 29 juin, une date chargée d’histoire et de tensions
Depuis 1985, le 29 juin était célébré comme la fête de l’autonomie en Polynésie française. Cette date, choisie par le gouvernement Flosse, fait référence à l’annexion de Tahiti et de ses dépendances à la France en 1880, lorsque le roi Pomare V a signé l’acte de cession au nom du royaume. Pour les partisans de l’autonomie, le 29 juin s’est imposé comme un marqueur institutionnel fort, accompagné de cérémonies officielles, de défilés et de remises de décorations. Pour d’autres, notamment les indépendantistes, cette date symbolise avant tout la perte de souveraineté, la dépossession et le début d’une longue période de colonisation.
Chaque année, la commémoration du 29 juin donne lieu à des célébrations à Papeete, mais aussi à des rassemblements alternatifs, comme la cérémonie du souvenir à la stèle de Faa’a. Ce clivage mémoriel s’exprime dans toutes les générations et sur l’ensemble des archipels, révélant la profondeur des blessures et la diversité des regards portés sur l’histoire du fenua.
Le 20 novembre, Matāri’i i ni’a et le retour aux racines
En 2025, le 20 novembre deviendra le nouveau jour férié officiel en Polynésie française. Cette date correspond à Matāri’i i ni’a, le lever des Pléiades, qui marque traditionnellement le début de la saison d’abondance dans le calendrier polynésien. Depuis plusieurs années, des associations culturelles et des communautés locales œuvrent à la réhabilitation de cette fête ancestrale, symbole de renouveau, de partage et de lien avec la nature.
Le choix du 20 novembre est présenté par le gouvernement comme une volonté de pacifier la société, de sortir d’une mémoire douloureuse et de rassembler autour d’un symbole fédérateur, ancré dans la culture mā’ohi. Ce changement est aussi salué par de nombreux enseignants, jeunes et acteurs culturels, pour qui Matāri’i i ni’a incarne la transmission des savoirs, la valorisation du patrimoine immatériel et la fierté retrouvée d’une identité polynésienne plurielle.
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Arguments, fractures et attentes de la société
La décision de remplacer le 29 juin par le 20 novembre n’a pas fait l’unanimité. Les élus autonomistes dénoncent un « effacement de l’histoire » et regrettent qu’aucune consultation populaire n’ait été organisée. Pour eux, le 29 juin reste une étape institutionnelle majeure, fruit des combats politiques menés pour l’autonomie du pays. À l’inverse, les indépendantistes et de nombreux acteurs culturels voient dans le 20 novembre une opportunité de se réapproprier l’histoire, de tourner la page de la colonisation et de transmettre aux jeunes générations un récit plus enraciné dans les traditions du fenua.
Dans les archipels, les réactions sont nuancées. Certains habitants des Tuamotu, des Australes ou des Marquises expriment leur attachement à la diversité des pratiques et à la reconnaissance des fêtes locales. D’autres, notamment parmi les jeunes et les enseignants, saluent la mise en avant du calendrier ancestral et la possibilité de célébrer des valeurs universelles, comme l’abondance, le partage et la solidarité.
Enjeux pour l’avenir et perspectives
Au-delà du choix d’une date, la bataille des commémorations révèle les tensions profondes qui traversent la société polynésienne : rapport à la mémoire coloniale, quête d’une identité partagée, besoin de reconnaissance et de dialogue entre générations. Certains appellent à une cohabitation des commémorations, d’autres à la création de nouveaux symboles capables de fédérer l’ensemble du pays.
Pour les acteurs culturels et éducatifs, le défi est désormais de transmettre la complexité de l’histoire polynésienne, d’accompagner la jeunesse dans la compréhension des enjeux mémoriels et de favoriser l’émergence d’une mémoire apaisée, respectueuse de toutes les trajectoires du fenua.
Tableau comparatif : 29 juin vs 20 novembre
Date | Signification | Rituels | Perception sociale | Portée politique/culturelle |
---|---|---|---|---|
29 juin | Annexion de 1880, fête de l’autonomie (depuis 1985) | Cérémonies officielles, défilés, remises d’insignes | Jour de deuil (indépendantistes), fête institutionnelle (autonomistes) | Symbole politique, mémoire coloniale, débats identitaires |
20 novembre | Matāri’i i ni’a, nouvel an polynésien, saison d’abondance | Cérémonies sur les marae, ateliers culturels, transmission intergénérationnelle | Fête culturelle, fédératrice, ancrée dans la tradition | Réappropriation identitaire, valorisation du patrimoine mā’ohi |
Voix du fenua
« Changer de date, c’est bien plus qu’un geste symbolique : c’est choisir quel récit on veut transmettre aux générations futures. »
Témoignage d’une enseignante de Moorea
Le 29 juin a marqué notre histoire, mais il est temps de célébrer ce qui nous rassemble et non ce qui nous divise.»
Parole d’un jeune de Raiatea
La bataille des commémorations, loin d’être close, témoigne de la vitalité d’une société polynésienne en pleine redéfinition de ses repères. Entre mémoire, identité et avenir, le choix des dates révèle bien plus qu’un simple changement de calendrier : il interroge le sens que chacun souhaite donner à l’histoire du fenua.