Après l’ère Brando, Tetiaroa a connu des années d’incertitude et de défis. De l’échec des premiers projets à la renaissance écologique et culturelle portée par la Tetiaroa Society, retour sur la transformation d’un rêve idéaliste en modèle de transmission, d’innovation et d’engagement pour la Polynésie.<br>
<em>Ce troisième volet de notre série explore les obstacles, les héritages et les nouveaux horizons de l’atoll mythique.</em>
Tetiaroa et Marlon Brando : les limites d’une utopie écologique
Dans les années 1970 et 1980, Marlon Brando tente de faire de Tetiaroa un laboratoire d’écologie, d’autosuffisance et de partage culturel. Il accueille chercheurs, artistes et amis, imagine des projets d’agriculture biologique, d’élevage de tortues et de tourisme raisonné. Mais l’isolement de l’atoll, le manque d’infrastructures et les difficultés logistiques limitent la portée de ses ambitions.
Son premier hôtel, le Tetiaroa Village, composé de bungalows au confort sommaire, attire surtout des proches et quelques voyageurs avertis. Les projets d’aquaculture échouent, la gestion quotidienne s’avère complexe, et les tensions familiales s’ajoutent aux obstacles matériels. Brando, souvent absent, voit son rêve d’île modèle s’essouffler au fil des années.
Témoignage local : « Beaucoup de Polynésiens admiraient la vision de Brando, mais sur le terrain, il fallait composer avec la réalité du Fenua : l’éloignement, le climat, et la nécessité d’impliquer vraiment la population locale. » Hina Poma, bénévole associative à Moorea
Transmission et passage de relais : l’après-Brando
À la mort de Marlon Brando en 2004, l’avenir de Tetiaroa paraît incertain. Ses héritiers héritent d’un atoll à la fois mythique et fragile, porteur d’une histoire mais aussi de nombreux défis. La question de la transmission se pose : comment respecter la volonté de Brando tout en assurant la viabilité de l’île ?
C’est dans ce contexte que Richard Bailey, entrepreneur engagé dans l’hôtellerie de luxe durable en Polynésie, propose une nouvelle vision. En collaboration avec le Brando Estate, il imagine un projet d’éco-resort haut de gamme, fondé sur les principes de préservation, d’innovation et de respect de la culture locale : The Brando.
Ce passage de relais s’accompagne d’un changement d’échelle : de l’utopie individuelle à la gestion collective, du rêve à la stratégie, de l’expérimentation à la transmission.
Témoignage local : « La renaissance de Tetiaroa, c’est aussi l’occasion pour la jeunesse polynésienne de s’impliquer dans des projets innovants, de valoriser nos savoirs et de montrer que l’on peut conjuguer tradition et modernité. » Tehani Teriipaia, jeune professionnelle du tourisme à Papeete
La renaissance : Tetiaroa Society, laboratoire du futur
En 2014, The Brando ouvre ses portes sur le motu Onetahi, marquant le début d’une nouvelle ère. Mais la véritable révolution vient de la création de la Tetiaroa Society, organisation à but non lucratif chargée de la conservation, de la recherche et de l’éducation sur l’atoll.
- Éradication des rats et retour des oiseaux marins : Grâce au Tetiaroa Atoll Restoration Program (TARP), la Tetiaroa Society a mené une campagne d’éradication des rats sur plusieurs motu, permettant le retour de milliers d’oiseaux marins nicheurs et la restauration de la biodiversité locale. En 2023, près de 10 000 oiseaux ont été recensés sur l’atoll, avec des signes clairs de reprise des populations après l’opération[4][5][9].
- Restauration de la flore endémique : Des programmes de suivi et de replantation ont permis d’observer une augmentation des jeunes plants de Pisonia grandis et de Pandanus tectorius, essentiels à l’équilibre des écosystèmes insulaires[5].
- Éducation et transmission : Chaque année, des dizaines de jeunes Polynésiens participent à des ateliers, des stages et des visites guidées sur l’atoll, découvrant la biodiversité, l’histoire et les savoirs traditionnels. La Tetiaroa Society a accueilli plus de 600 élèves et étudiants depuis 2015 pour des formations sur le terrain[6].
- Recherche scientifique : L’atoll accueille des chercheurs du monde entier pour étudier la résilience des écosystèmes, l’impact de la restauration sur les récifs coralliens et les liens entre pratiques ancestrales et innovations écologiques[3][7].
« Notre mission est de préserver Tetiaroa pour les générations futures, tout en impliquant la communauté polynésienne dans chaque étape du projet. »
Hinano Teavai-Murphy, cofondatrice de la Tetiaroa Society
Aujourd’hui, Tetiaroa est reconnue comme un modèle d’écotourisme, de conservation et de transmission, fidèle à l’esprit de Brando mais résolument tournée vers l’avenir.
Défis et perspectives : Tetiaroa, un modèle en mouvement
- Changement climatique : La montée du niveau de la mer et la fragilité des récifs imposent une vigilance constante et des innovations pour préserver l’atoll.
- Gestion du tourisme de luxe : Trouver l’équilibre entre accueil de visiteurs et protection des écosystèmes reste un défi permanent pour la Tetiaroa Society et ses partenaires.
- Transmission culturelle : Les ateliers de tressage, de navigation ou de langue mā’ohi organisés sur l’île contribuent à la transmission intergénérationnelle et à la valorisation du patrimoine polynésien.
L’exemple de Tetiaroa montre qu’il est possible, en Polynésie française, de conjuguer ambition écologique, développement économique et respect des traditions, à condition d’impliquer toutes les générations et de s’appuyer sur la science comme sur la mémoire du Fenua.
Retrouvez les articles de la série « Tetiaroa, histoire, nature et écotourisme au cœur du Pacifique » :
- Tetiaroa, île royale et sanctuaire naturel du Pacifique
- Marlon Brando et la découverte d’un paradis polynésien
- Tetiaroa, de l’utopie de Brando à la renaissance écologique (cet article)
- Bientôt : The Brando : un modèle d’écotourisme de luxe
- Bientôt : Préserver Tetiaroa : recherche, tradition et développement durable