Le tribunal foncier de Papeete a débouté l’Église catholique de sa demande de propriété sur les sept atolls des Actéon. Une décision qui redonne espoir aux familles polynésiennes, héritières des anciennes sociétés civiles immobilières, mais qui ne résout pas définitivement le statut complexe de ces terres des Tuamotu.
Pour Astrid Brander-Hoffmann, cette journée du 14 juin restera marquée d’un soulagement prudent. Descendante de Michel Brander, ancien associé de la société civile immobilière Tematangi, elle a appris avec satisfaction que le tribunal foncier avait rejeté la demande du Camica (Église catholique) de reconnaissance de propriété par usucapion sur les îles Actéon.
« C’est un grand pas, mais ça ne veut pas dire que c’est gagné », confie cette ayante droit qui suit de près cette affaire depuis des années. Sa réaction illustre parfaitement la complexité d’un dossier qui touche au cœur des problématiques foncières polynésiennes : comment préserver les droits des familles locales face aux vides juridiques laissés par l’histoire ?
Cette décision judiciaire, rendue après plusieurs reports d’audience, marque une étape importante dans un conflit qui oppose depuis 2015 l’Église catholique aux héritiers des anciennes sociétés civiles immobilières. Mais elle ouvre aussi de nouvelles interrogations sur l’avenir de ces sept atolls des Tuamotu, dont le statut juridique reste encore à clarifier.
Un héritage foncier aux racines complexes
L’histoire des îles Actéon illustre les méandres du droit foncier polynésien. À l’origine propriétés du Pays, ces atolls avaient été confiés puis cédés à des sociétés civiles immobilières constituées de cinq associés. L’objectif était noble : permettre aux populations locales de travailler collaborativement à l’aménagement de ces terres, notamment pour la récolte du coprah et la régénération des cocoteraies.
Les SCI « Tematangi » et « Fangataufa et Maturei-Vavao » ont géré ces terres pendant des années avant d’être dissoutes. Mais aucune liquidation n’a jamais été effectuée, créant un vide juridique que différentes parties tentent aujourd’hui de combler.
En 2015, le conseil d’administration de la mission catholique avait tenté de régulariser la situation par un acte de notoriété acquisitive devant notaire. Cette procédure d’usucapion, qui permet d’acquérir un bien par possession prolongée, aurait pu permettre au Camica d’obtenir la propriété si personne n’avait contesté.
Une mobilisation salvatrice des familles
Heureusement, le Pays et les ayants droit ont réagi rapidement. Plusieurs recours ont été déposés pour contester cet acte notarié, déclenchant une procédure judiciaire qui aura duré près de dix ans.
L’affaire a connu plusieurs reports d’audience : après une première audience procédurale le 16 avril, elle a été renvoyée au 2 juin, puis au 11 août, et enfin au 27 octobre, avant d’aboutir à cette décision du 14 juin 2025.
« Ce qui m’inquiète aussi, c’est que vont devenir ces îles-là ? », s’interroge Astrid Brander-Hoffmann. « L’Église aurait pu continuer dans son action, c’est-à-dire continuer à accompagner les Paumotu, quitte à percevoir une indemnité, mais elle a peut-être poussé le bouchon un peu trop loin. »
Les défis qui restent à relever
Cette victoire judiciaire n’est qu’une première étape. Les familles doivent maintenant prouver leur filiation et récupérer les parts sociales de leurs ascendants, un processus complexe rendu difficile par la dissolution non liquidée des SCI.
Le Pays a d’ailleurs lancé un appel à destination de toutes les personnes ayant un intérêt à faire valoir dans ce dossier, les invitant à se rapprocher du liquidateur des SCI concernées.
Par ailleurs, le Camica pourrait faire appel de cette décision, et une information judiciaire reste ouverte au pénal sur d’autres aspects du dossier. L’affaire n’est donc pas totalement close.
Un révélateur des enjeux fonciers polynésiens
Au-delà du cas spécifique des îles Actéon, cette affaire révèle les enjeux cruciaux du foncier en Polynésie française. La délégation sénatoriale aux outre-mer avait d’ailleurs identifié « la difficulté majeure sur le foncier » dans cette zone des Tuamotu.
Face à ces défis, le fenua mise sur des projets de développement territorial pour renforcer la résilience des archipels. Ces initiatives visent notamment à créer des alternatives économiques durables pour les populations locales, tout en préservant leurs droits fonciers ancestraux.
Les problématiques sont multiples :
- Vides juridiques laissés par des structures dissoutes mais non liquidées
- Complexité des procédures de transmission familiale
- Difficultés d’accès à la justice pour les habitants des archipels éloignés
- Nécessité de préserver les droits ancestraux des familles polynésiennes
Cette décision judiciaire pourrait faire jurisprudence et encourager d’autres familles dans des situations similaires à faire valoir leurs droits. Elle souligne aussi l’importance de clarifier le statut juridique des terres pour préserver les droits des familles polynésiennes et assurer un développement durable de ces territoires insulaires.
Pour Astrid Brander-Hoffmann et les autres ayants droit, le combat continue. Mais cette victoire d’étape leur redonne espoir dans leur quête de justice foncière, symbole des défis que doivent relever les familles polynésiennes pour préserver leur héritage territorial.