Comment une famille libanaise redonne espoir aux perliculteurs polynésiens (les chiffres parlent)

Comment une famille libanaise redonne espoir aux perliculteurs polynésiens (les chiffres parlent)

Le groupe Belpearl, négociant international dirigé par la famille Hajjar depuis trois générations, s’implante définitivement en Polynésie française avec l’ouverture d’un bureau à Papeete. Cette initiative offre aux perliculteurs locaux un accès direct aux marchés internationaux et des outils technologiques innovants, dans un contexte où de nombreuses fermes perlières ont fermé ces dernières années. Avec 25 producteurs déjà partenaires et des prix stabilisés autour de 1 200 francs le gramme, cette implantation pourrait marquer un tournant pour une filière en quête de renouveau.

Dans les lagons turquoise des Tuamotu et des Gambier, l’espoir renaît doucement. Alors que la perliculture polynésienne traverse une crise majeure avec la fermeture de nombreuses fermes perlières de Tahiti dans les archipels éloignés, une famille libanaise mise sur l’avenir de la perle noire. Belpearl, société de négoce fondée en 1933, vient d’organiser un symposium rassemblant une cinquantaine de perliculteurs à l’Intercontinental de Tahiti pour présenter sa vision : révolutionner la commercialisation de la perle de Tahiti grâce à l’intelligence artificielle et l’accès direct aux marchés internationaux.

Cette initiative intervient à un moment charnière pour la filière. Si les prix ont chuté en 2025, ils restent deux fois supérieurs à ceux d’avant la crise Covid, passant de 600 à 1 200 francs le gramme. Mais au-delà des chiffres, c’est une nouvelle approche qui se dessine : formation gratuite des producteurs, techniques de triage innovantes et élimination des intermédiaires traditionnels. « Avant les prix étaient soit bas, soit très hauts mais sans stabilité. Mais avec Belpearl, qui maintient les prix stables, on est très content de travailler avec », témoigne Titaina Paker, perliculteur d’Arutua.

Une histoire de famille au service de la perle

Originaire du Liban, la famille Hajjar règne sur le négoce de perles depuis trois générations. Fondée en 1933, Belpearl a développé des sociétés au Japon et à Hong Kong avant de s’intéresser à la Polynésie et à sa perle noire en 1990. Aujourd’hui, l’entreprise affiche des performances remarquables avec plus de 600 millions de francs de ventes en 2025 et 1,3 milliard en 2024.

Freddy Hajjar, futur directeur du bureau de Papeete qui ouvrira ses portes le mois prochain dans le quartier du commerce, explique l’attrait unique de la perle polynésienne :

« La perle qui provient de Polynésie française va battre toute la concurrence. Parce que la perle de Tahiti a une couleur noire avec des lueurs vertes et aussi roses. J’ai aussi vu des couleurs comme le bleu du ciel, ou vertes comme la pistache. Impossible ailleurs, seulement ici. »

L’intelligence artificielle au service des perliculteurs

L’innovation technologique constitue l’un des atouts majeurs de Belpearl. L’entreprise propose des techniques de triage utilisant l’intelligence artificielle, calquées sur la technologie déjà utilisée pour déterminer la qualité des diamants. Cette révolution technique répond à un besoin concret identifié sur le terrain.

Freddy Hajjar souligne l’importance de cette formation :

« On est en train d’ouvrir un bureau en centre-ville pour que les perliculteurs déposent leurs perles chez nous et qu’on puisse leur donner une estimation car parfois ils ne savent pas exactement combien leurs lots valent à cause du fait que le triage n’est pas bien fait. C’est pour ça qu’on insiste sur la question du triage et on est en train de les former gratuitement. »

Cette approche pédagogique vise à autonomiser les producteurs et à optimiser la valorisation de leurs productions, particulièrement cruciale pour les perliculteurs des archipels éloignés.

Un accès privilégié aux marchés internationaux

L’implantation de Belpearl révolutionne l’accès des perliculteurs polynésiens aux marchés mondiaux. Avec ses ventes aux enchères quasi-bimensuelles à Hong Kong, l’entreprise offre une alternative directe aux circuits traditionnels de commercialisation.

Arii Sichoix, perliculteur aux Gambier, se réjouit de cette évolution :

« C’est une très belle alternative pour les perliculteurs des Gambier de pouvoir commercialiser leurs perles directement à Hong Kong à travers une institution aussi prestigieuse que Belpearl, avec des tarifs très attractifs qui favorisent les perliculteurs et pas les négociants. Ils te garantissent un prix minimum et si le prix de ton lot se vend mieux aux enchères, tous les bénéfices sont redistribués aux perliculteurs. »

Cette approche transparente, avec une commission de seulement 5% de la valeur totale, contraste avec les pratiques traditionnelles et « élimine complètement l’intermédiaire local », selon Arii Sichoix.

Des témoignages encourageants des archipels

Les retours des perliculteurs partenaires confirment l’impact positif de cette collaboration. Steve Pommier, producteur depuis 25 ans à Arutua et président du comité de gestion du lagon, apprécie particulièrement la dimension pédagogique :

« En tant que producteur, on a un peu la tête dans le guidon. On produit mais on ne sait pas exactement ce qui se fait à l’extérieur : quels sont les besoins des acheteurs. Et là concrètement, ça fait une relation entre le producteur et les acheteurs finaux de l’extérieur. Ça nous permet peut-être de produire mieux par rapport aux attentes des clients. »

Cette approche collaborative permet aux producteurs de mieux orienter leur production selon les demandes du marché international, optimisant ainsi leurs revenus.

Le défi de la pénurie de nacres

Au-delà des questions de commercialisation, la filière perlière fait face à un défi structurel majeur : la pénurie de nacres. Arii Sichoix identifie clairement cette problématique :

« Le premier challenge aujourd’hui ce n’est pas forcément de trouver une stabilité dans les prix car justement les prix sont volatiles et l’offre de perles est beaucoup plus faible que la demande ce qui est à notre avantage. Mais le premier point à solutionner c’est l’apport en matières premières. »

Cette pénurie s’explique par la pollution croissante des lagons qui compromet la collecte naturelle de naissains. Face à cette situation, des initiatives privées émergent, comme le projet d’écloserie d’Arii Sichoix aux Gambier, qui sera opérationnel en mars 2026.

Une évolution des prix encourageante

Malgré les défis, les indicateurs économiques restent positifs. Steve Pommier confirme cette tendance :

« Les prix ont baissé cette année, ils sont nettement meilleurs qu’avant le Covid. Sur la dernière vente, on doit être à 1 200 francs le gramme alors qu’avant le Covid on était à 600 francs le gramme. On a quasiment doublé donc je pense qu’on est sur la bonne voie. »

Cette amélioration des prix, malgré les fluctuations liées aux tensions géopolitiques entre la Chine et les États-Unis, témoigne de la résilience du marché de la perle noire.

Période Prix moyen (francs/gramme) Évolution
Avant Covid (2019) 600
2025 1 200 +100%
Objectif souhaité 1 800 +200%

Qualité plutôt que quantité

L’approche de Belpearl privilégie la qualité sur la quantité. L’entreprise achète toutes les perles vendables de la qualité A à D, et s’intéresse désormais même « à celles qui sont à la limite de la qualité des rebuts », les perles de catégorie E, en raison de la pénurie actuelle.

Cette stratégie répond à une demande internationale croissante et permet de valoriser l’ensemble de la production polynésienne, même les perles considérées comme marginales.

Coexistence et diversification des débouchés

L’arrivée de Belpearl ne signifie pas l’éviction des acteurs traditionnels. Steve Pommier prône une approche équilibrée :

« Il y a de la place pour tout le monde. L’implantation de Belpearl à Tahiti, en plus des négociants locaux, permet aux perliculteurs de s’ouvrir à l’international et de disposer d’un panel de choix plus important. »

Cette diversification des débouchés offre aux producteurs une meilleure résilience face aux fluctuations du marché et aux aléas économiques mondiaux.

Perspectives d’avenir pour la filière

L’implantation de Belpearl s’inscrit dans une stratégie de long terme visant à rassembler l’ensemble des professionnels polynésiens. Cette approche collaborative pourrait contribuer à la préservation et à la valorisation de la spécificité unique de la perle de Tahiti.

Pour les archipels éloignés, particulièrement touchés par les fermetures de fermes, cette initiative représente une opportunité de reconquête économique. Les formations gratuites, l’accès direct aux marchés internationaux et la stabilisation des prix constituent autant d’atouts pour relancer l’activité perlicole dans les Tuamotu et les Gambier.

L’enjeu désormais consiste à concilier cette ouverture internationale avec la préservation des savoir-faire traditionnels et la protection de l’environnement lagunaire, conditions indispensables à la pérennité de ce trésor du fenua.

À propos de l'auteur :

Hina
Hina Teariki

Hina Teariki est une journaliste polynésienne de 38 ans, née et élevée à Papeete. Diplômée en journalisme de l'Université de la Polynésie française, elle a commencé sa carrière en 2008 comme pigiste pour divers journaux locaux avant de rejoindre Tahiti Presse en 2010. Passionnée par la culture et l'environnement polynésiens, Hina s'est spécialisée dans les reportages sur le développement durable, le changement climatique et la préservation des traditions locales. Elle est connue pour son style d'écriture engagé et ses enquêtes approfondies sur les enjeux sociaux et écologiques du fenua.

Hina Teariki est une journaliste polynésienne de 38 ans, née et élevée à Papeete. Diplômée en journalisme de l'Université de la Polynésie française, elle a commencé sa carrière en 2008 comme pigiste pour divers journaux locaux avant de rejoindre Tahiti Presse en 2010. Passionnée par la culture et l'environnement polynésiens, Hina s'est spécialisée dans les reportages sur le développement durable, le changement climatique et la préservation des traditions locales. Elle est connue pour son style d'écriture engagé et ses enquêtes approfondies sur les enjeux sociaux et écologiques du fenua.

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