Face à la concurrence des huiles exotiques, à la pression des marchés internationaux et à la mutation rapide du secteur cosmétique, la filière <b>monoï de Tahiti</b> doit relever des défis inédits pour préserver son identité, ses emplois et son savoir-faire. Peut-elle résister à la mondialisation ? Enquête sur un trésor polynésien à la croisée des chemins.
Un marché international sous tension
Exporté vers l’Europe, les États-Unis et l’Asie, le monoï de Tahiti est devenu l’un des ambassadeurs du fenua à l’étranger. Les chiffres sont éloquents : plus de 90 % du monoï produit localement part à l’export, principalement sous forme de vrac destiné à l’industrie cosmétique. Mais derrière ce succès apparent, la filière doit composer avec une concurrence mondiale de plus en plus rude.
- Essor des huiles végétales concurrentes (argan, abricot, jojoba…)
- Produits industriels surfant sur l’image du monoï sans respecter l’origine
- Volatilité des marchés et exigences accrues des distributeurs internationaux
« Nous sommes fiers de voir notre monoï reconnu dans le monde, mais la compétition est féroce et les marges se réduisent », confie Vai, responsable d’une PME familiale à Moorea.
Barrières réglementaires et contraintes administratives
Pour accéder aux marchés européens, américains ou asiatiques, les producteurs polynésiens doivent répondre à des normes sanitaires et cosmétiques de plus en plus strictes. Les formalités douanières, les autorisations de mise sur le marché et l’adaptation des formules aux réglementations locales exigent des investissements importants, difficiles à assumer pour les petits acteurs.
- Statut particulier de la Polynésie française (PTOM) complexifiant l’accès au marché européen
- Obligation de reformuler certains produits pour respecter les listes d’ingrédients autorisés
- Délais administratifs et coûts de certification élevés
Ces barrières freinent l’innovation et limitent la capacité des artisans à valoriser leur savoir-faire à l’international.
Isolement géographique et défis logistiques
L’insularité de la Polynésie française complique l’acheminement des matières premières, des emballages et des produits finis. Les délais d’expédition, la dépendance aux importations et les coûts de transport élevés pèsent lourdement sur la compétitivité de la filière.
- Difficulté à garantir des délais courts pour les clients internationaux
- Risque de rupture de stock en cas de retard d’approvisionnement
- Coût logistique supérieur à celui des concurrents situés sur des continents
Pour certains industriels, la solution passe par la mutualisation logistique ou la transformation partielle du monoï en France, afin de réduire les délais et les coûts.
Financement, structuration et gouvernance de la filière
La suppression de la taxe parafiscale sur les exportations de monoï début 2022 a fragilisé le financement des actions de promotion, de défense de l’appellation et de recherche. Si une contribution volontaire a été instaurée, elle reste insuffisante pour garantir la stabilité de la filière.
- Moins de moyens pour la promotion internationale du monoï de Tahiti
- Difficulté à financer la veille réglementaire et la lutte contre les contrefaçons
- Rôle accru du groupement interprofessionnel du monoï (GIMT) pour fédérer les acteurs
« Sans ressources pérennes, il sera difficile de défendre l’appellation et d’innover », alerte un représentant du GIMT.
Concurrence et valorisation locale
Si le monoï de Tahiti jouit d’une forte notoriété, la filière capte une faible part de la valeur ajoutée. La majorité du monoï est exportée en vrac, puis transformée et conditionnée à l’étranger. Les produits finis élaborés localement restent minoritaires, malgré une demande croissante pour des cosmétiques bio, des huiles sèches et des soins haut de gamme.
- Concurrence des huiles exotiques et des grandes marques internationales
- Faible développement des produits finis polynésiens à forte valeur ajoutée
- Opportunités à saisir sur le marché local et dans le secteur du tourisme expérientiel
Pour renforcer la filière, plusieurs producteurs misent sur la diversification, l’innovation et la montée en gamme, en valorisant le savoir-faire polynésien et l’authenticité de l’appellation.
Transmission et renouvellement des producteurs
Le vieillissement des artisans, la difficulté à attirer de nouveaux producteurs et la concurrence d’autres filières agricoles menacent la pérennité du secteur. Pourtant, des initiatives voient le jour pour encourager la transmission et l’engagement des jeunes générations.
- Formations spécifiques à la culture du tiaré et à la transformation du coprah
- Création de coopératives et d’ateliers pédagogiques dans les archipels
- Valorisation des métiers du monoï auprès des jeunes Polynésiens
« Transmettre notre savoir-faire, c’est assurer l’avenir du monoï et de notre identité », témoigne Hina, productrice à Raiatea.
Perspectives et pistes d’innovation
Pour affronter la mondialisation, la filière monoï multiplie les pistes d’innovation : mutualisation des moyens, digitalisation des démarches, développement de nouveaux produits (cosmétiques bio, huiles sèches, packaging écoresponsable), et partenariats internationaux. L’enjeu : garantir la qualité, préserver l’authenticité et renforcer la visibilité du monoï de Tahiti sur les marchés mondiaux.
- Investissement dans la recherche et le développement
- Promotion de la traçabilité et de la transparence pour rassurer les consommateurs
- Ouverture à de nouveaux débouchés (tourisme, bien-être, export haut de gamme)
Le monoï, un trésor à réinventer pour demain
Entre tradition et modernité, la filière monoï de Tahiti doit se réinventer pour survivre à la mondialisation. La mobilisation des producteurs, des institutions et des consommateurs est essentielle pour préserver ce trésor du fenua et garantir sa transmission aux générations futures.
« Le monoï, c’est notre héritage. À nous de le faire vivre, d’innover et de le partager avec le monde sans jamais perdre son âme », conclut un jeune artisan de Moorea.
Découvrez les autres volets de notre série pour mieux comprendre les enjeux et la richesse du monoï de Tahiti, symbole vivant de la culture polynésienne.
Retrouvez les articles de la série « Monoï de Tahiti : Trésor vivant, héritage polynésien » :
- Monoï de Tahiti : héritage vivant et secret de beauté polynésien
- Du champ à la bouteille : immersion chez les artisans du monoï
- Monoï de Tahiti : comment préserver une appellation d’origine unique au monde ?
- Beauté mā’ohi : les secrets du monoï révélés par les femmes polynésiennes
- Monoï de Tahiti : la filière survivra-t-elle à la mondialisation ? (vous êtes ici)
- Bientôt : Le monoï de Tahiti dans la vie moderne : produits, tendances et expériences