C’était redouté, c’est désormais confirmé : depuis lundi 30 juin minuit, la grève illimitée de la Fraap paralyse plusieurs services du Pays. Aviation civile, transports, santé, équipement : 5 500 agents sont concernés par ce mouvement social qui menace directement le Heiva i Tahiti 2025, dont l’ouverture est prévue jeudi 3 juillet.
La menace s’est concrétisée. Comme nous l’annoncions dans notre article sur la menace pesant sur le Heiva i Tahiti, la grève illimitée de la Fraap (Fédération de rassemblement des agents des administrations de Polynésie) a débuté lundi 30 juin à minuit. Bien au-delà de la seule Maison de la culture, c’est l’ensemble de la Polynésie française qui se retrouve paralysée : 43 aérodromes fermés, examens du permis annulés, circulation perturbée sur la côte Est.
À 48 heures de la soirée d’ouverture du Heiva i Tahiti, l’incertitude plane toujours sur le maintien de cet événement culturel majeur. Les 3 000 artistes mobilisés depuis des mois poursuivent leurs préparatifs « comme si on dansait le 3 juillet », confie Steeve Reea du groupe Mehau, mais l’angoisse grandit face à l’ampleur du conflit.
Car cette grève dépasse largement les murs de Te Fare Tauhiti Nui. Elle touche 5 500 agents de l’administration territoriale, dont 1 800 de catégorie D aux plus bas salaires, tous concernés par la revendication principale : la revalorisation du point d’indice. Un enjeu financier considérable que le gouvernement refuse de négocier, poussant le président Moetai Brotherson à saisir la justice pour contester la légalité du mouvement. Pour tout savoir sur le Heiva i Tahiti 2025, retrouvez notre dossier complet.
40 à 50% de grévistes à Te Fare Tauhiti Nui
À la Maison de la culture, les représentants syndicaux estiment le taux de grévistes entre 40 et 50%. Une situation qui compromet directement l’organisation de la 144e édition du Heiva i Tahiti, dont la soirée d’ouverture est programmée ce jeudi 3 juillet à To’atā.
« On ne va pas se mentir : ça va faire mal, c’est sûr, vis-à-vis des effectifs. Déjà que leurs salaires ne sont pas aussi importants, sans compter la grève… Mais nous sommes prêts à tenir jusqu’à ce qu’on arrive à se mettre d’accord sur les différents points », déclare Raymond Tamaititahio, technicien à la Maison de la culture.
Les revendications portent sur 16 points, dont la création de 40 postes sur trois ans, l’instauration d’une prime pour conditions de travail atypiques, et surtout la revalorisation du point d’indice qui concerne 5 500 agents de l’administration, dont 1 800 de catégorie D aux plus bas salaires.
Des millions d’investissement en suspens
Pour les 23 troupes de danse et de chant, l’angoisse est palpable. Les investissements sont colossaux : plus de 3 millions de francs pour Teva i Tai, 11 millions et 2 000 heures de travail pour Hei Tahiti, première troupe censée ouvrir le bal jeudi soir.
« Si ça ne devait pas se faire, je demanderais des dommages et intérêts en compensation. Par respect pour mes 216 artistes qui ont investi, je ne laisserai pas passer ça », avertit Tiare Trompette-Dezerville, cheffe de la troupe Hei Tahiti.
Heimoana Metua, de Teva i Tai, exprime ce sentiment partagé : « Nous comprenons les revendications des équipes de TFTN, avec lesquelles nous partageons plusieurs grands événements chaque année, mais on se sent un peu pris en otage. »
Paradoxe avec une billetterie sold-out
La situation devient d’autant plus dramatique que la billetterie du Heiva i Tahiti affiche complet pour la plupart des soirées, témoignant de l’engouement du public pour cet événement patrimonial majeur.
« C’est très inquiétant. En tant qu’homme de la culture, je le dis simplement : on ne peut pas toucher au Heiva ! C’est notre patrimoine », confie le compositeur du groupe Tamariki Rapa.
Grève générale aux conséquences multiples
Au-delà du Heiva, la grève paralyse l’ensemble de la Polynésie française :
- Transports aériens : fermeture des 43 aérodromes depuis samedi, élèves bloqués à quelques jours des vacances
- Examens du permis : annulation des épreuves, une vingtaine de candidats concernés lundi
- Circulation : plus de changement de plots sur la côte Est, une seule voie Papeete-Mahina
- Services de santé : risques pour les évacuations sanitaires
« Le problème c’est qu’on ne sait pas quand on va pouvoir les replacer. On a des élèves qui vont quitter le territoire pour leurs études donc c’est très compliqué en fait », déplore Cédric Thenor, moniteur d’auto-école.
Bataille juridique en cours
Le président Moetai Brotherson a déposé un référé pour contester la légalité de cette grève. L’audience s’est tenue mardi matin au tribunal, la jurisprudence étant floue sur ce type de conflit.
« Il y a un véritable risque pour les grévistes que cette grève soit jugée illicite », prévient Maître Thibaud Millet, avocat de la Polynésie française.
Du côté syndical, Gérard Barff, secrétaire général de la Fraap, dénonce « une entrave à la liberté syndicale » et regrette l’échec des négociations de samedi soir : « Quand Moetai est arrivé vers la fin, ça a tout capoté, il a dit niet, je vais en référé. »
Chronologie du conflit
Date | Événement |
---|---|
Décembre 2024 | Première grève de la Fraap, suspension en janvier |
Samedi 29 juin | Fermeture anticipée des 43 aérodromes |
Samedi soir | Échec des négociations avec le gouvernement |
Lundi 30 juin | Début de la grève illimitée à minuit |
Mardi 1er juillet | Audience au tribunal sur la légalité |
Contraste avec les autres archipels
Pendant que Tahiti vit dans l’incertitude, le Heiva i Bora Bora se prépare sereinement du 7 au 21 juillet. Les six mata’eina’a de l’île sœur coordonnent leur événement sans perturbation, avec un programme détaillé et une couverture médiatique assurée.
Cette situation souligne le paradoxe : alors que la culture ma’ohi rayonne dans tout le fenua, son temple principal à Tahiti se trouve paralysé par un conflit social qui dépasse largement ses murs.
Enjeux pour l’économie du fenua
Les conséquences économiques sont considérables. Le tourisme, la perliculture des Tuamotu, les transports inter-îles : tous les secteurs subissent les répercussions de cette paralysie généralisée.
Les compagnies aériennes locales estiment leurs pertes à plusieurs millions de francs depuis la fermeture des aérodromes. Les hôteliers s’inquiètent pour leurs clients bloqués, comme en décembre lors de la précédente grève.
Course contre la montre
À moins de 48 heures de la soirée d’ouverture, aucune annonce officielle n’a émané de Te Fare Tauhiti Nui. Sur les réseaux sociaux, la campagne promotionnelle se poursuit, laissant planer le doute sur le maintien de ce rendez-vous incontournable de la culture ma’ohi.
Les négociations ne reprendront pas avant la décision du tribunal. L’issue de cette bataille juridique déterminera si les 3 000 artistes mobilisés depuis des mois pourront enfin fouler la scène de To’atā, devant un public qui attend ce moment depuis une année entière.
Pendant ce temps, les artistes restent « focus » sur leurs préparatifs, espérant que la culture polynésienne l’emportera sur les tensions sociales qui secouent le fenua.